samedi 15 juin 2013

En Toscane : Lucca



LUCCA


Le lever se fait en fanfare : Edith a trouvé que, dans la douche, sont incorporés une radio et un téléphone ! Elle met évidemment en marche. La radio sélectionnée est la radio chrétienne. On se douche au son d’un « Je vous salue Marie » seriné sans âme par un chœur de religieuses apparemment rappeuses (et peut-être râpeuses, allez savoir).
Dehors, comme on l’avait perçu la veille au soir, il pleut des cordes.
Voilà qui nous laisse le temps de tenter de comprendre le mécanisme de l’allume gaz, étant donné que la veille nous n’avons pas trouvé comment actionner l’allume-gaz électrique et que nous n’avions ni allumettes ni  briquet : la salade de tomates, poulet froid et sans sauce était toutefois excellente !
Après un certain nombre de manipulations infructueuses, Serge, dans un éclair de génie (il ne faut pas avoir peur de le dire !) allume la lampe qui est sous la hotte aspirante. Et, oh miracle (merci les bonnes sœurs du « Je vous salue Marie »), l’allume-gaz fonctionne ! Subtilités italiennes.
Malgré les rumeurs de pluie extérieures, il faut se résoudre à ouvrir le volet. Confirmation : il tombe des seaux et le paysage de montagne si agréable hier, se dissimule dans un brouillard épais.
Nous mettons le billet écrit la veille en évidence sur la table et nous partons, évidemment, sans payer. L’avenir nous dira si nous avons été convaincants ou si toutes les polices d’Italie et Interpol sont à nos trousses.
La pluie redouble mais, tels de stoïques fuyards, nous prenons la descente vers Sarzano en déplaçant des gerbes d’eau et en risquant l’aqua-planning à chaque sortie de virage. Seul point positif, la conduite des italiens se calme sous la pluie. Hormis quelques lève-tard visiblement en retard pour se rendre à leur travail, le rythme de descente est tout à fait acceptable.
Aux environs de Carrare, nous trouvons enfin une station-service où le prix du litre de gas-oil est inférieur à 1,60€. Le pompiste explique que, du point de vue du climat, on a un temps de mois de janvier et qu’il faudra s’y faire encore pendant quelques jours. Il reste très vague sur la valeur du « quelques »…
La pluie semble se calmer et, peut-être, nous pourrons jeter un coup d’œil à Carrare. Pour le circuit des carrières de marbre, cela semble compromis car elles sont invisibles depuis la ville alors que, d’après les guides, elles constituent un ensemble d’orgues minérales assez invraisemblables.
Au moment où nous cherchons un parking, la pluie redouble, le vent balaye les avenues, et ça dure ! Arrêtés devant la gendarmerie, nous décidons de mettre le cap sur Lucca, si la tempête ne nous brise pas d’ici là !
Arrivés à Lucca le temps semble hésiter entre déluge et accalmie.


Nous revêtons notre tenue de randonneur, notre veste polaire et notre K-Way (dont on remarque vite que nous sommes les seuls à encore en porter !) et nous partons vers la ville médiévale. Evidemment, à peine la porte San Donato franchie un premier déluge s’abat sur nous. 


Tant pis. Nous nous abritons dans l’église San Francesco qui n’était pas prévue au programme et qui présente des belles toiles allégoriques sur Lucca au Moyen-Age. Le temps que l’orage passe, nous nous adonnons à la lecture avertie des œuvres picturales : une réussite : merci Saint Montredon !



La ville est belle et agréable : on y vend un sac à main tous les trois mètres et un parapluie sur chaque pavé. Mais, pour ce qui est des façades, c’est une merveille.
Nous nous arrêtons sur une placette au centre de laquelle trône, impassible, Puccini, la gloire locale. Même sous les trombes d’eau, il reste assis dans son fauteuil, les jambes croisées, un léger sourire aux lèvres et un regard narquois. Une prouesse à saluer ! Derrière lui, les volets de sa demeure sont clos : peut-être a-t-il oublié de prendre ses clés ?


Nous arrivons à l’église San Michele in Foro, merveille de marbre au milieu de son immense place. Malheureusement, il est 12h15. Dieu est à table et les portes sont fermées jusqu’à 15 heures. Ce n’est rien, nous reviendrons.







Pour nous remercier, la pluie s’arrête et nous permet de déambuler tranquillement dans les ruelles du centre : via Vittorio Veneto, Piazza Napoleone et ainsi de suite. Les façades sont belles. Parfois, une lunette sur un mur détache un morceau de fresque rescapée.





Nous voilà Place du Dôme. Afin que nous entrions, la pluie repart. En forçant, elle nous pousse jusqu’au porche. L’intérieur est immense.


Le crucifix de Nicodème, dans son écrin octogonal, semble de marbre lorsque l’on est éloigné de lui. De près, il dévoile la finesse de la sculpture dans les veines du cèdre : une première merveille.

En Italie, les marchands du temple ne sont jamais très loin. Nous croisons les premiers au moment d’entrer dans le chœur : « Signori et signore, pour goûter aux chefs-d’œuvres de l’église, il faudra vous délester de quelques euros. Les gouttes d’eau s’étant accumulées sur mes lunettes, je n’avais pas vu le bon tarif. Trop tard, Dieu et ses représentants nous chiperont six euros sans broncher : on sera plus vigilants la prochaine fois.


Le tombeau d’Ilaria del Caretto, chef-d’œuvre de Jacopo della Quercia, nous fait oublier la mésaventure. La sculpture est parfaite, de la splendeur du visage aux plis des vêtements, les angelots et le chiot qui l’enserrent ont des expressions de vivants.


Face à lui, la descente de croix et le Christ dans les bras de Nicodème sont merveilleux.
Si la présentation du tombeau était en français, le reste est en anglais, langue fade et sans nuances : on pourrait attendre mieux de la finesse toscane !


Le chœur est immense et les peintures grandioses. Dans une chapelle attenante, la Vierge à l’enfant de Fra Bartolomeo est rutilante.



A l’extérieur, des groupes d’ados trompent leur faim, avachis contre une porte finement ciselée par Pisano : où va le respect ? Pourtant, les motifs valent le détour, en particulier les tableaux montrant les travaux associés à chaque mois de l’année.









Il faut désormais suivre les remparts jusqu’à la partie nord de la ville. Le chemin est assez long et, histoire d’accélérer notre pas, la pluie redouble. On est rôdé, on a faim, donc on s’en soucie peu.


C’est ici que nous découvrons une caractéristique de l’italien : le savoir faire du vélo sous la pluie. Tous se moquent du temps de chien qui s’abat sur nous et vaquent à leurs occupations sur des bicyclettes antédiluviennes, tenant leur guidon d’une main et leur parapluie de l’autre. La baleine italienne est solide et résiste aussi bien à la vitesse qu’à la violence du vent. Nous assistons même au « déambulé avec parapluies multiples » : sur la selle, la mère, son pébroque et son vélo en main, sur le siège du porte-bagages le fils, lui aussi parapluie en main qui raconte sans hâte le travail effectué à l’école ce matin : scènes de la vie quotidienne. Au milieu de tout ça, des Fiat qui slaloment, accélèrent et pilent à l’envie : nous voilà enfin au cœur de la douceur transalpine !


On retrouve une nouvelle église fermée pour cause de déjeuner du saint patron.


On déambule dans les ruelles jusqu’à la tour Guinigi qui, par beau temps, offre un panorama incontournable sur la ville. Aujourd’hui, nous en ferons l’économie et nous repartons vers la tour de l’Horloge elle-aussi immense au centre de son lacis de ruelles étroites toutes imbriquées les unes dans les autres.


La pluie redouble et mon plan de la ville tombe dans une immense flaque d’eau. Tout près, une jeune allemande écrase un « oh » d’étonnement. Elle me lance un regard désolé avant que le teuton qui l’accompagne hache une remarque qui la fait éclater de rire : c’est à la largeur des flaques d’eau qu’on mesure la versatilité humaine !  


Je ramasse mon lambeau de plan et nous retrouvons l’église San Michele in Foro, toujours fermée mais cette fois emmitouflée dans ses hordes de groupes autour de leur guide à parapluie levé vers les cieux.

De retour à notre voiture, nous nous jetons sur nos sandwiches. La pluie profite évidemment de notre manque de vigilance pour repartir. Nous décidons de ne pas retourner vers San Michele in Foro car le plus beau semble être l’extérieur et nous mettons le cap sur Castelfiorentino et notre second « Agriturismo ».

Deux heures de route à peine. Le soleil est apparu avec les collines toscanes. Nous avons complètement changé de paysages et de climat : maintenant de vagues sursauts de pluie alternent avec le soleil.
Nous voilà à l’Agriturismo. Evidemment, selon notre habitude, personne ne nous attend, si ce n’est un papier à notre nom collé sur la porte de la réception.


La réceptionniste nous apprend qu’exceptionnellement, elle ne pourra pas être là ce soir, que, pour cause de surbooking, nous n’aurons pas le gîte réservé mais un autre plus spacieux, que les clés sont sur la porte et que nous pouvons nous installer.


Que faire sinon s’exécuter ? Nous investissons notre appartement qui n’a pas été ouvert depuis quelques temps et dont l’odeur de vieux désole Edith qui explose des narines en ouvrant le réfrigérateur qui a apparemment servi à entreposer le cochon tué pendant l’hiver.


Nous nous installons tout de même et ça prend du temps car Serge se fait happer par l’oncle de la maison, octogénaire puits de sciences qui lui fait l’historique des ethnies italiennes, celtes en Ligurie et Lombardie, étrusques en Toscane, Ombrie et Emilie-Romagne, venues de l’est en Veneto et Friuli... La conversation dévie sur les origines de la famille Bonaparte puis, évidemment sur la Corse que le toscan connaît bien : il fréquente régulièrement l’étang de Biguglia, A Canonica, et loge chez son ami Andreani, restaurateur à Lucciana : le monde est décidément bien petit !


Pendant ce temps, Edith fait l’inventaire : nous n’avons pas de couverts et pas de connexion internet.


En nous promenant dans la propriété, dans la famille Ciampalini, nous croisons maintenant le père qui martyrise une porte d’entrée. Il nous explique que sa fille (la réceptionniste) ne peut pas être là ce soir parce qu’elle prépare son mariage et il entreprend de nous donner notre code de connexion à internet. Bien sûr, il ne le trouve pas. Il ameute ses filles et petites filles au téléphone, retourne le bureau et ne trouve pas. Il nous explique que sa dernière fille va arriver et qu’il nous portera le code tant désiré. Il nous livre une bouteille de son vin blanc et nous partons.




Nous nous installons et le code de connexion à internet arrive. Sous le vent, puis la pluie de la terrasse, nous envoyons notre premier message désespéré !


Le vin blanc est de qualité. La soirée peut se terminer calmement.






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