LUCCA
Le lever se fait en
fanfare : Edith a trouvé que, dans la douche, sont incorporés une radio et
un téléphone ! Elle met évidemment en marche. La radio sélectionnée est la
radio chrétienne. On se douche au son d’un « Je vous salue Marie » seriné
sans âme par un chœur de religieuses apparemment rappeuses (et peut-être râpeuses, allez savoir).
Dehors, comme on l’avait
perçu la veille au soir, il pleut des cordes.
Voilà qui nous laisse le
temps de tenter de comprendre le mécanisme de l’allume gaz, étant donné que la
veille nous n’avons pas trouvé comment actionner l’allume-gaz électrique et que
nous n’avions ni allumettes ni
briquet : la salade de tomates, poulet froid et sans sauce était
toutefois excellente !
Après un certain nombre de
manipulations infructueuses, Serge, dans un éclair de génie (il ne faut pas
avoir peur de le dire !) allume la lampe qui est sous la hotte aspirante.
Et, oh miracle (merci les bonnes sœurs du « Je vous salue Marie »),
l’allume-gaz fonctionne ! Subtilités italiennes.
Malgré les rumeurs de
pluie extérieures, il faut se résoudre à ouvrir le volet. Confirmation :
il tombe des seaux et le paysage de montagne si agréable hier, se dissimule
dans un brouillard épais.
Nous mettons le billet
écrit la veille en évidence sur la table et nous partons, évidemment, sans
payer. L’avenir nous dira si nous avons été convaincants ou si toutes les
polices d’Italie et Interpol sont à nos trousses.
La pluie redouble mais,
tels de stoïques fuyards, nous prenons la descente vers Sarzano en déplaçant
des gerbes d’eau et en risquant l’aqua-planning à chaque sortie de virage. Seul
point positif, la conduite des italiens se calme sous la pluie. Hormis quelques
lève-tard visiblement en retard pour se rendre à leur travail, le rythme de
descente est tout à fait acceptable.
Aux environs de Carrare,
nous trouvons enfin une station-service où le prix du litre de gas-oil est
inférieur à 1,60€. Le pompiste explique que, du point de vue du climat, on a un
temps de mois de janvier et qu’il faudra s’y faire encore pendant quelques
jours. Il reste très vague sur la valeur du « quelques »…
La pluie semble se calmer
et, peut-être, nous pourrons jeter un coup d’œil à Carrare. Pour le circuit des
carrières de marbre, cela semble compromis car elles sont invisibles depuis la
ville alors que, d’après les guides, elles constituent un ensemble d’orgues
minérales assez invraisemblables.
Au moment où nous
cherchons un parking, la pluie redouble, le vent balaye les avenues, et ça
dure ! Arrêtés devant la gendarmerie, nous décidons de mettre le cap sur
Lucca, si la tempête ne nous brise pas d’ici là !
Arrivés à Lucca le temps
semble hésiter entre déluge et accalmie.
Nous revêtons notre tenue
de randonneur, notre veste polaire et notre K-Way (dont on remarque vite que
nous sommes les seuls à encore en porter !) et nous partons vers la ville
médiévale. Evidemment, à peine la porte San Donato franchie un premier déluge
s’abat sur nous.
Tant pis. Nous nous
abritons dans l’église San Francesco qui n’était pas prévue au programme et qui
présente des belles toiles allégoriques sur Lucca au Moyen-Age. Le temps que
l’orage passe, nous nous adonnons à la lecture avertie des œuvres
picturales : une réussite : merci Saint Montredon !
La ville est belle et
agréable : on y vend un sac à main tous les trois mètres et un parapluie
sur chaque pavé. Mais, pour ce qui est des façades, c’est une merveille.
Nous nous arrêtons sur une
placette au centre de laquelle trône, impassible, Puccini, la gloire locale.
Même sous les trombes d’eau, il reste assis dans son fauteuil, les jambes
croisées, un léger sourire aux lèvres et un regard narquois. Une prouesse à saluer !
Derrière lui, les volets de sa demeure sont clos : peut-être a-t-il oublié
de prendre ses clés ?
Nous arrivons à l’église
San Michele in Foro, merveille de marbre au milieu de son immense place.
Malheureusement, il est 12h15. Dieu est à table et les portes sont fermées
jusqu’à 15 heures. Ce n’est rien, nous reviendrons.
Pour nous remercier, la
pluie s’arrête et nous permet de déambuler tranquillement dans les ruelles du
centre : via Vittorio Veneto, Piazza Napoleone et ainsi de suite. Les
façades sont belles. Parfois, une lunette sur un mur détache un morceau de
fresque rescapée.
Nous voilà Place du Dôme.
Afin que nous entrions, la pluie repart. En forçant, elle nous pousse jusqu’au
porche. L’intérieur est immense.
Le crucifix de Nicodème,
dans son écrin octogonal, semble de marbre lorsque l’on est éloigné de lui. De
près, il dévoile la finesse de la sculpture dans les veines du cèdre : une
première merveille.
En Italie, les marchands du temple ne sont jamais très loin. Nous croisons les premiers au moment d’entrer dans le chœur : « Signori et signore, pour goûter aux chefs-d’œuvres de l’église, il faudra vous délester de quelques euros. Les gouttes d’eau s’étant accumulées sur mes lunettes, je n’avais pas vu le bon tarif. Trop tard, Dieu et ses représentants nous chiperont six euros sans broncher : on sera plus vigilants la prochaine fois.
Le tombeau d’Ilaria del
Caretto, chef-d’œuvre de Jacopo della Quercia, nous fait oublier la
mésaventure. La sculpture est parfaite, de la splendeur du visage aux plis des
vêtements, les angelots et le chiot qui l’enserrent ont des expressions de
vivants.
Face à lui, la descente de
croix et le Christ dans les bras de Nicodème sont merveilleux.
Si la présentation du
tombeau était en français, le reste est en anglais, langue fade et sans
nuances : on pourrait attendre mieux de la finesse toscane !
Le chœur est immense et
les peintures grandioses. Dans une chapelle attenante, la Vierge à l’enfant de
Fra Bartolomeo est rutilante.
A l’extérieur, des groupes
d’ados trompent leur faim, avachis contre une porte finement ciselée par
Pisano : où va le respect ? Pourtant, les motifs valent le détour, en
particulier les tableaux montrant les travaux associés à chaque mois de
l’année.
Il faut désormais suivre
les remparts jusqu’à la partie nord de la ville. Le chemin est assez long et,
histoire d’accélérer notre pas, la pluie redouble. On est rôdé, on a faim, donc
on s’en soucie peu.
C’est ici que nous
découvrons une caractéristique de l’italien : le savoir faire du vélo sous
la pluie. Tous se moquent du temps de chien qui s’abat sur nous et vaquent à
leurs occupations sur des bicyclettes antédiluviennes, tenant leur guidon d’une
main et leur parapluie de l’autre. La baleine italienne est solide et résiste
aussi bien à la vitesse qu’à la violence du vent. Nous assistons même au
« déambulé avec parapluies multiples » : sur la selle, la mère,
son pébroque et son vélo en main, sur le siège du porte-bagages le fils, lui
aussi parapluie en main qui raconte sans hâte le travail effectué à l’école ce
matin : scènes de la vie quotidienne. Au milieu de tout ça, des Fiat qui
slaloment, accélèrent et pilent à l’envie : nous voilà enfin au cœur de la
douceur transalpine !
On retrouve une nouvelle
église fermée pour cause de déjeuner du saint patron.
On déambule dans les
ruelles jusqu’à la tour Guinigi qui, par beau temps, offre un panorama
incontournable sur la ville. Aujourd’hui, nous en ferons l’économie et nous
repartons vers la tour de l’Horloge elle-aussi immense au centre de son lacis
de ruelles étroites toutes imbriquées les unes dans les autres.
La pluie redouble et mon
plan de la ville tombe dans une immense flaque d’eau. Tout près, une jeune allemande écrase
un « oh » d’étonnement. Elle me lance un regard désolé avant que le
teuton qui l’accompagne hache une remarque qui la fait éclater de rire :
c’est à la largeur des flaques d’eau qu’on mesure la versatilité
humaine !
Je ramasse mon lambeau de
plan et nous retrouvons l’église San Michele in Foro, toujours fermée mais
cette fois emmitouflée dans ses hordes de groupes autour de leur guide à
parapluie levé vers les cieux.
De retour à notre voiture, nous nous jetons sur nos sandwiches. La pluie profite évidemment de notre manque de vigilance pour repartir. Nous décidons de ne pas retourner vers San Michele in Foro car le plus beau semble être l’extérieur et nous mettons le cap sur Castelfiorentino et notre second « Agriturismo ».
Deux heures de route à peine. Le soleil est apparu avec les collines toscanes. Nous avons complètement changé de paysages et de climat : maintenant de vagues sursauts de pluie alternent avec le soleil.
Nous voilà à
l’Agriturismo. Evidemment, selon notre habitude, personne ne nous attend, si ce
n’est un papier à notre nom collé sur la porte de la réception.
La réceptionniste nous
apprend qu’exceptionnellement, elle ne pourra pas être là ce soir, que, pour
cause de surbooking, nous n’aurons pas le gîte réservé mais un autre plus
spacieux, que les clés sont sur la porte et que nous pouvons nous installer.
Que faire sinon
s’exécuter ? Nous investissons notre appartement qui n’a pas été ouvert
depuis quelques temps et dont l’odeur de vieux désole Edith qui explose des
narines en ouvrant le réfrigérateur qui a apparemment servi à entreposer le
cochon tué pendant l’hiver.
Nous nous installons tout
de même et ça prend du temps car Serge se fait happer par l’oncle de la
maison, octogénaire puits de sciences qui lui fait l’historique des ethnies
italiennes, celtes en Ligurie et Lombardie, étrusques en Toscane, Ombrie et
Emilie-Romagne, venues de l’est en Veneto et Friuli... La conversation dévie sur
les origines de la famille Bonaparte puis, évidemment sur la Corse que le
toscan connaît bien : il fréquente régulièrement l’étang de Biguglia, A
Canonica, et loge chez son ami Andreani, restaurateur à Lucciana : le
monde est décidément bien petit !
Pendant ce temps, Edith
fait l’inventaire : nous n’avons pas de couverts et pas de connexion
internet.
En nous promenant dans la
propriété, dans la famille Ciampalini, nous croisons maintenant le père qui
martyrise une porte d’entrée. Il nous explique que sa fille (la réceptionniste)
ne peut pas être là ce soir parce qu’elle prépare son mariage et il entreprend
de nous donner notre code de connexion à internet. Bien sûr, il ne le trouve
pas. Il ameute ses filles et petites filles au téléphone, retourne le bureau et
ne trouve pas. Il nous explique que sa dernière fille va arriver et qu’il nous
portera le code tant désiré. Il nous livre une bouteille de son vin blanc et
nous partons.
Nous nous installons et le
code de connexion à internet arrive. Sous le vent, puis la pluie de la
terrasse, nous envoyons notre premier message désespéré !
Le vin blanc est de
qualité. La soirée peut se terminer calmement.
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