LE
CINQUE TERRE
Le matin, lever de bonne
heure pour rejoindre Levanto d’où nous prendrons le train pour les Cinque
Terre. Le temps est splendide, la journée s’annonce sous ses meilleurs
auspices.
La route est sinueuse,
tortueuse même jusqu’à Levanto. Nous stationnons devant la gare qui possède son
bureau d’accueil Cinque Terre où nous pouvons acquérir nos billets de train +
sentiers. Le prix du parking est raisonnable.
Nous attendons notre train
et en route pour la grande aventure ! A bord, on parle anglais, français,
allemand, japonais, on se caresse du sac à dos, bref on ne respire pas vraiment
la couleur locale !
Quelques minutes suffisent
pour atteindre la gare de Monterosso où le tortillard dépose son premier lot de
marcheurs. « Lot » n’est pas vraiment la terme adapté : il
faudrait plutôt parler de marée qui se
déverse et grouille sur le parvis. On se bouscule, on se hèle, dans toutes les
langues et dans tous les dialectes : une vraie foire à l’italienne sans
aucun italien pour l’animer. Nous partons du côté du calme en se disant que
toute cette manne aboyante ne peut pas partir sur les sentiers. La suite nous
prouvera que si.
Très vite tout se calme.
Une tour nous surplombe et nous accueille visiblement ravie de voir quelqu’un s’intéresser
à elle.
Nous déambulons dans les
rues alentour, faisons une halte dans la chapelle moderne « San Domenico e
San Andrea » et devons nous rendre à l’évidence : le sentier pour
Vernazza n’est pas de ce côté.
Il nous faut donc retraverser
la cohue et la suivre jusqu’à ce qu’un panneau nous situe un peu les lieux. Il
nous faut d’abord emprunter un passage souterrain qui nous découvrira la ville
ancienne d’où nous pourrons prendre le sentier.
A l’italienne,
c'est-à-dire au milieu des travaux, le passage souterrain nous accueille. Il
nous dépose enfin au pied de la tour Aurora qui marque le début du centre
historique.
Dans les Cinque Terre,
tout s’empile : il nous faudra donc passer sous le viaduc ferroviaire qui
lui-même enjambe la place du marché.
Un petit tour en ville
nous dévoile une église agréable et quelques ruelles un peu trop mercantiles
pour nous. Les restaurants étalent leurs terrasses sur la place et semblent
accueillir ce jour de soleil avec joie.
Nous repassons sous le
viaduc et attaquons le sentier après avoir pagayé un moment pour régler nos
nouveaux bâtons de marche made in Decathlon.
Sans attendre, ça monte
sévèrement.
Autour de nous, on parle toujours toutes
les langues de la planète, ceci nez contre échine et dans les deux sens. Après
quelques minutes de grimpette prononcée, nous surplombons déjà le village de
Monterosso et nous parvenons au péage.
Nous pensions que là, une
partie des quidams et des quid hommes rebrousseraient chemin. Il n’en est rien.
Tous s’acquittent de leur octroi ou dégainent leur sauf-conduit Trenitalia et
s’enfilent vers les interminables marches d’escaliers qui gravissent la colline
entre les murs des différentes propriétés en terrasses. Le long chapelet
polyglotte nous indique qu’on risque d’en baver quelques ronds de chapeau avant
de parvenir à Vernazza. Et l’idée n’est pas un euphémisme : on souffle, on
rougit, on verdit, on pâlit, on se frotte la bedaine à du teuton, du tommy, du
nippon, de l’euzkadi, bref, on grimpe, on grimpe, on grimpe encore, on grimpe
toujours au milieu d’une cacophonie grandissante.
Dans cette ménagerie, le
plus volubile est indéniablement le rosbeef qui, lorsqu’il est mâle beugle de
l’humour plein de mie de pain et, lorsqu’il est femelle glousse et trémousse de
la crête à l’envie. Le pompon sera tenu sur toute la distance par deux dindes
sexa ou septuagénaires proposant de photographier tout ce qui passe. On en
oublie carrément les quelques transalpins qui triment dans les parcelles de
vigne.
Parfois, quelques pins affables
nous permettent de jeter un œil sur la mer qui, comme toutes les mers, ondule
ses vagues sous l’indifférence du ciel et s’est habillée de bleu pour
l’occasion.
Nous poursuivons notre
déambulation sur l’autoroute planétaire. Nous croisons enfin un groupe de
français CAMIF qui nous indiquent que l’on aurait dû déambuler dans l’autre
sens où le dénivelé est moins amer.
Nous sommes ensuite
dépassés par une professeure française qui excuse à qui veut bien la comprendre
le comportement limite limite des ados qu’elle a pédagogiquement lancés dans
les escaliers ligures. Aux joues gonflées des adolescentes à sac à main, aux
lourdes plaisanteries des acnés ambulantes qui se gaussent, elle semble mesurer
les limites de la pédagogie active et rêve de cours magistraux avec diapositive
des Cinque Terre sur son TBI. Dieu que nous la comprenons !
Nous montons, nous
descendons, en suivant notre long cordon humain quand midi arrive, accompagné
des premiers nuages.
Une table nous accueille
et nous dégainons nos sandwiches le long des sacs à dos vrombissants.
Au-dessous, la mer, toujours aussi impersonnelle accepte quelques regards. Ils
sont brefs car notre charretée de rosbeefs ne tarde pas à arriver à se poser
tout autour de nous et à sourire aux Miss Kodak qui continuent de glousser et à
éructer de la marmelade à qui veut l’entendre…
Nous laissons
l’envahisseur partir vers d’autres conquêtes avant de reprendre notre chemin.
Il est treize heures et le touriste semble se clairsemer. L’accalmie sera de
courte durée.
Nous apercevons enfin les
toits de Vernazza à l’à-pic. Peu à peu, le village nous découvre ses murs
multicolores et apporte un peu de répit à nos yeux lassés de l’alternance du
bleu et du vert. Une photo du spectacle nous permet de retrouver nos dindes
photographiques avant d’entamer la descente vers le port.
Nous doublons d’abord un
bateau qui s’offre la mer en passant par la fenêtre du premier étage d’une
ferme en partie écroulée, un saxophoniste oublié dans les pinèdes...
Nous entrons dans Vernazza
par des ruelles sombres libérant leur linge qui pend et nous immergeons dans
une foule invraisemblable qui descend vers le port derrière les panonceaux
numérotés de ses guides polyglottes.
Sur le port, quelques
pêcheurs tentent de hisser leurs barques hors de l’eau en écrasant quelques
pieds étrangers. Même l’église, romane à souhait, déborde des éructations touristiques.
Nous décidons de quitter la foule et de prendre le premier train pour Corniglia
car, désormais, les sentiers ne sont plus accessibles.
Le quai est à l’image de
ce que nous vivons depuis ce matin. Désabusés, posés contre un mur, nous
attendons, nous engouffrons dans la première voiture et espérons un peu de
calme au village suivant car nous avons perçu que de nombreux groupes voyageraient,
eux, jusqu’à Manorola.
Il n’en est en fait rien
et le quai de la gare de Corniglia offre le même spectacle que celui des gares
de Monterosso et de Vernazza.
Depuis ce matin, nous en
avons soupé des escaliers et nous avons les genoux qui implorent un peu de
répit. Nous ne monterons donc pas la « Lardarina » et ses trois cent
soixante-dix-sept marches. Nous choisissons de prendre la route jusqu’au
village d’où, d’après les guides touristiques, l’on peut admirer les cinq
villages mondialement connus.
Il nous faut une bonne
demi-heure pour parvenir sur la place du village, un peu moins cacophonique que
le reste. Nous cherchons en vain le point de vue sur les environs, nous entrons
dans une église bien banale et décidons, sous les premières gouttes de pluie de
rejoindre la gare et de terminer ici notre escapade dans les Cinque
Terre : adieu Manarola et Riommaggiore, adieu anglais, allemands,
espagnols, japonais, russes, tchèques, polonais et tutti quanti, nous rendons
nos armes à la foule et rentrons dans le calme montagnard de notre gîte.
Nous arrivons sur le quai
au même moment que le train qui semble avoir compris notre dessein. Nous
sautons dans le première voiture en nous disant que, maintenant, il peut bien
pleuvoir, nous nous en moquons.
Nous débarquons à Levanto,
hésitons à partir visiter la ville malgré les prémisses d’orage et décidons
finalement de nous enfuir vers les sommets. Deux Ferrari plus loin, nous
pouvons gravir lentement les innombrables lacets.
De loin, nous nous
apercevons qu’un petit véhicule à trois roues a pris notre place de parking.
Nous ne nous hasarderons pas à tenter une ascension en sa présence : nous
posons notre Berlingo sous un arbre et nous montons à pied.
Cette fois, il pleut. Nous
entrons dans notre chambre, qui a été faite de fond en comble et nous trouvons
un mot sur le lit nous précisant que, le lendemain matin, avant de quitter les
lieux, il serait bon que nous laissions cent dix euros sur notre lit et les
clés sur la porte : insouciante Italie !
Le problème, c’est que
nous pensions payer avec notre carte bancaire, que nous ne possédons pas les
cent dix euros et que le distributeur ne nous lâchera aucun billet avant mardi
prochain. Il est manifeste que, dans ces lieux nous ne croiserons aucun
propriétaire. Il est impensable que nous retournions à La Spezia, où celui-ci
possède un institut de bien-être et où notre GPS joue les filles de l’air. Il
n’est pas raisonnable d’utiliser notre téléphone portable qui, la frontière
passée, joue les détrousseurs de compte bancaire… Après un moment de réflexion,
nous décidons de prendre le propriétaire à son propre jeu : nous lui
laisserons un mot sur le lit, lui expliquant que nous n’avons pas d’argent
liquide et pas de téléphone portable, qu’une rencontre eut permis de trouver
une solution amiable, que nous partons donc sans payer mais qui, après
transmission de ses coordonnées bancaires par internet et après retour physique
en France nous lui ferions un virement bancaire. Nous lui faisons part de notre
bonne foi et attendrons que l’avenir nous dise si Interpol nous coursera ou non
sur les routes de Toscane.
Dernière péripétie du
jour : le gaz refuse catégoriquement de s’allumer. Après maints essais,
nous nous rabattons sur une salade regroupant tout ce que nous possédons. Dehors,
la pluie redouble et c’est dans les rumeurs d’orage que nous sombrons dans un
sommeil bien mérité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire